Grave, gros et beau

Les aigûs parlent à nos oreilles, mais les graves parlent à nos tripes. Surtout quand ils sont amplifiés. Donc ce n’est pas étonnant si de plus en plus de musiciens veulent une cinquième corde grave à leur violon, leur violoncelle, leur alto (les contrebassistes, eux, sont servis depuis belle lurette !). Et quitte à sortir de l’univers des lutheries et musiques classiques, autant en profiter pour donner un autre habit aux instruments, d’autant plus si cela peut servir leur fonction.

Voilà mon crédo.

Matthias Gault, musicien parisien, l’a bien compris de cette oreille quand il m’a contacté pour lui fabriquer un alto avec une 5ème corde grave. Il m’a laissé libre cours quant au dessin, avec la seule contrainte que la tête de l’instrument devait comporter une volute, soit-elle non-classique.

Je me suis donc basé, pour le coffre, sur un dessin que j’avais dans mes tiroirs depuis quelques années, en l’agrandissant pour obtenir une caisse digne d’une corde de fa grave.

C’est un peu la forme du violon cornu, qui elle, date de l’an 2000. A l’époque j’étais plus sage, donc  les contours du cornu restent dans les proportions du violon classique. Avec l’alto de Mathias, j’ai pris un malin plaisir à les dépasser.

Pour accentuer davantage ces contours, j’ai remplacé le filet quelque peu baroque contre un intissé saturé d’Urushi noir. Voilà ce qui protège les bords tout en donnant une allure certaine, surtout vu de côté.  Pour un son vraiment grave, rond et chaud, j’ai opté pour une caisse en peuplier, avec une table en épicéa à grains larges, très nerveuse. Pour satisfaire à la demande concernant la tête de l’instrument, je me suis permis d’enrouler une plaque de tête façon guitare sur elle-même…

Le tout couvert d’un vernis à l’huile couleur braise tout ce qu’il y a de classique, pour le plus bel effet.

Juste avant la livraison, j’ai exposé cet alto au festival de St. Chartier dans l’Indre, évènement incontournable pour les amoureux de la musique trad. Je dois dire qu’il y a fait plusieurs émules, des musiciens qui me l’ont rendu à contre cœur après une longue immersion dans ces graves qui remuent, la larme au coin de l’œil…

Voilà ce qu’en dit le propriétaire, Matthias Gault,  quelques mois après livraison :

« Je vous envoie quelques nouvelles de l’alto cinq cordes que vous m’avez fabriqué… Et c’est un grand bonheur. Je l’ai traîné dans quelques fêtes de village ou autres beufs informels histoire de voir ce qu’il avait dans le ventre. C’était extra. Il a même fait des envieux chez d’autres altistes, très étonnés de ce son et de cette corde de fa. Dernièrement, j’ai pu participer à un concert de musique d’improvisation libre dans une boîte de jazz près de chez moi, animé par des professionnels: une fois correctement réglé et branché, il n’y a pas de perte de son et il donne vraiment en rondeur. Même s’il est neuf, il donne de belles harmoniques. C’était assez décoiffant. Quelques concerts sont prévus en acoustiques et électro. Et un concert avec un altiste de la scène de musique improvisée, Guillaume Roy. J’espère que nous pourrons échanger un peu. Ce fut mon premier prof de violon. Bref, la vie suit son cours quoi. Seuls quelques bémols au niveau de la justesse et à la clarté de son dans la vélocité qui tiennent encore je crois à sa prise en main insuffisante: il est grand le bougre ! Mais les petits soucis de justesse devraient se régler avec l’habitude. Cela dit, le vernis urushi continue de faire glisser la barre Kun. Je réfléchis donc à une barre alternative…Si l’occasion se présente, je vous envoie une prise de son et quelques titres, histoire de. Merci encore pour votre travail ! »

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